Option proposée dans la loi d’orientation agricole de 2006, le fonds agricole a-t-il tenu ses promesses ? Entretien avec Jean-Marie Gilardeau, professeur de droit rural et instigateur avec d’autres de la loi d’orientation agricole de 2006.
Le fonds agricole permet d’identifier la valeur économique de l’exploitation agricole, de clarifier les liens entre les patrimoines privé
et professionnel et de faciliter les transmissions d’exploitation. “Belle définition”, se réjouit Jean-Marie Gilardeau. Mais, ajoute-t-il, il faut le reconnaître, l’option de fonds agricole incluse dans cette loi “a fait un flop”.
Cette loi consacrait l’évolution du modèle de l’exploitation familiale vers la reconnaissance de l’entreprise agricole et notamment la valorisation de toutes les valeurs incorporelles comprises dans l’actif de cette entreprise. On y retrouve notamment les droits à produire, les contrats et droits de propriété servant à l’exploitation du fonds.
Au-delà des fonctions productives
Pourtant, “l’échec du bail cessible, censé être intégré dans la loi a précipité l’échec du fonds tel qu’il avait été pensé”, regrette Jean-Marie Gilardeau. Or, l’évolution de l’exploitation familiale vers l’entreprise agricole est déjà engagée. Les fonctions de l’exploitation dépassent largement le simple cadre productif pour intégrer des fonctions de services, des fonctions commerciales, des fonctions d’aménageurs du territoire. Les chiffres d’affaires intègrent déjà le produit de ces nouvelles fonctions qui s’appuient sur des actifs en partie incorporels. La reconnaissance de la valeur de ces actifs est donc devenue impérative.
Pourtant, “il y a une vraie difficulté dans le monde agricole à admettre ces actifs. Chacun a ses raisons, que ce soit la profession agricole, les conseils ou les experts”, constate Jean-Marie Gilardeau. “Il faut bien admettre que si l’exploitation reste dans la sphère productive, le fonds agricole a peu d’intérêt. Mais l’évolution des exploitations vers des activités adjacentes oblige à valoriser dans l’actif professionnel ces nouvelles fonctions des agriculteurs. Par exemple, la généralisation des contrats de production obligera
à donner une valeur à ces contrats dans l’actif incorporel. En droit commercial, cette évaluation est essentielle”.
Cependant, l’expert tempère quelque peu ce constat en remarquant que le développement des formes sociétaires en agriculture permet de compenser la non prise en compte du fonds par la valorisation des parts sociales. “Quand ces sociétés sont bien construites”, rappelle-t-il. “Au lieu de céder un fonds, on vend des parts réévaluées. Avec toujours la difficulté de la monétisation de ces parts”.
Au-delà, Jean-Marie Gilardeau insiste sur l’urgence de la cessibilité du bail rural de 9 ans qui devient un outil prioritaire avec l’augmentation forte des installations hors du cadre familial. Ou comment transformer un flop en moteur de modernisation de l’entreprise agricole.
L’avis de l’experte Cerfrance
Selon Isabelle Coutant, directrice du service juridique chez Cerfrance Poitou-Charentes, “le fonds devrait être l’instrument pour valoriser les valeurs incorporelles. Mais les manques de la loi ont eu pour conséquence un détournement naturel de la part des cédants et des repreneurs sous forme d’arrangements locaux pour permettre la transmission. Il n’y a que dans les activités équestres, qui étaient à la base une activité qualifiée de commerciale, que le fonds est valorisé : clientèle, notoriété et implantation.
Cette notion est une base de la valorisation des entreprises du commerce ou de l’artisanat, inexistante en agriculture. Pourtant on en a besoin parce qu’il y a de plus en plus de valeurs incorporelles dans les actifs agricoles, notamment avec les contrats de production ou le développement des activités de vente directe dans les exploitations. »
Jacques Mathé, économiste rural
Article issu du magazine Cerfrance « Gérer pour Gagner » Août Septembre Octobre 2021 – Retrouvez l’intégralité du magazine dans votre espace client.