Point d’actualisation de l’article « Conflit Russie – Ukraine : l’onde de choc pour l’agriculture française » (mars 2022).
Deux mois après l’ouverture du conflit, le dérèglement de la production qui s’ensuit et le caractère inflationniste initié dès 2021 en France sur l’agriculture & l’alimentation ont des impacts croissants dont il convient de préciser l’ampleur.
Avant de nous intéresser directement aux productions agricoles de nos territoires, rappelons les enjeux macroéconomiques sous-jacents :
- En France notamment, le marché des matières premières agricoles a connu une progression inflationniste dès l’année 2021 (grains – engrais – aliments du bétail / cf. support de nos Rendez-vous Prospective – projection résultats récolte 2021). Le coût des intrants agricoles a augmenté de 20,5 % sur un an en France, de février 2021 à février 2022 (bulletin statistique du ministère de l’agriculture),
- Le renchérissement des grains et des huiles menace en tout premier lieu la sécurité alimentaire des populations de l’est et du sud de la Méditerranée. Point dont l’acuité s’affirme au fil des semaines. En effet, en proie à une sécheresse précoce, certains pays sont d’ores et déjà affectés (pénurie, prix prohibitifs des denrées alimentaires de base).
C’est pourquoi, sous la houlette de la France, qui préside le Conseil de l’Europe au cours du premier semestre 2022, les 27 ont mis en veilleuse l’axe « Farm to Fork » cher à la Commission pour mettre l’accent sur la maximisation des volumes de production agricole. L’autorisation de remise en production ponctuelle des jachères en est un signal parmi d’autres (même si l’on sait que les effets en resteront limités), - Si la flambée du cours des céréales, oléagineux & protéagineux peut « absorber » celle des intrants, les filières animales, ruminants notamment, sont frappées d’un ciseau des prix préoccupant. En effet, l’inflation à deux chiffres des principaux postes d’intrants n’est pas compensée par une évolution des cours « instantanée ».
Voyons de plus près de quoi il en retourne au sein de ces deux groupes de filières agricoles…
Cultures de vente : flambée toute & crainte de pénurie sur certains postes
Vu la durée du conflit, la probabilité est forte pour que la production de l’Ukraine soit durablement handicapée. Le cabinet Tallage avance une chute des implantations en maïs de l’ordre de 50% en Ukraine sur la campagne en cours.
- Fort de gros volumes achetés par l’Egypte et l’Algérie, récemment revenus aux achats, le cours du blé a franchi la barre des 400 € tonne mi-avril (MATIF & marché physique).
- L’orge fourragère emboîte le pas du blé en raison de tonnages importants expédiés au Maroc et en Chine.
- Deux faits majeurs sont de nature à soutenir le cours du maïs : les Etats-Unis étendent l’utilisation d’éthanol pendant que la Chine leur confirme l’achat d’1 million de tonnes.
- Soutenu par le cours du pétrole comme des huiles végétales, le colza a de nouveau franchi, voire dépassé la barre des 1 000 € tonne !
Flambée des charges en parallèle
Selon les Observatoires des exploitations gérés par Arvalis, de 40% à 55% des charges de production, selon les grandes cultures, sont concernés par la hausse des prix. Citons, par impact décroissant, les engrais, l’énergie (séchage), l’irrigation, le carburant, les produits phytosanitaires.
En tête, l’azote n’en finit pas d’augmenter… Rappel : sur la séquence 2018-2021, l’unité valait 0,80 €.
Sur la campagne 2022, son prix aura évolué entre 1,30 € et 3 €.
Toujours selon Arvalis, à partir notamment de données Cerfrance, + 1 € l’unité d’azote, c’est + 23 € à + 26 € d’augmentation du coût à la tonne (céréales à paille).
Récolte 2023 : au rang des incertitudes…
S’agissant des charges, les propositions de prix actuelles, sans parler de disponibilité, conduisent à projeter des évolutions de coût de production atteignant 75 € à 100 € la tonne pour la récolte 2023.
Dans un contexte de flambée des prix, de pénurie de composants hydrauliques & électroniques, et d’allongement déjà perceptible des délais de livraison, le syndicat des constructeurs et celui des distributeurs font cause commune pour solliciter un plan de soutien gouvernemental.
Ils pointent notamment la délicate répercussion aux agriculteurs de l’ensemble de l’inflation subie, le risque de détérioration de la relation faute de pouvoir servir l’agriculteur en temps et en heure, sans oublier les incidences d’un sous-équipement ponctuel de nature à hypothéquer certaines récoltes en devenir.
C’est donc l’ensemble de la chaîne, de l’industriel à l’agriculteur final, qui se trouve affecté.
Enfin, à l’heure où nous écrivons ces lignes, rien ne peut garantir la totale disponibilité des intrants pour 2023.
Selon plusieurs OS locaux, la nouvelle campagne sera rythmée par une hausse tarifaire de 10% à 30% sur les produits phytosanitaires, assortie d’un risque de rupture pour certaines molécules.
Elevages de ruminants : quand le ciseau des prix se referme
A partir de son réseau INOSYS des fermes de référence, IDELE (Institut de l’élevage) a simulé l’impact de la flambée des charges pour 3 systèmes spécialisés qui nous concernent tout spécialement : bovins lait, bovins viande et caprins.
- Trois postes de charges sont ciblés (aliments, carburants & travaux par tiers, engrais). Compte tenu de l’incertitude, deux niveaux d’hypothèse sont testés :
– hypothèse basse (avant conflit) : retour assez rapide à une conjoncture de début 2022,
– hypothèse haute (post conflit) : les tensions perdurent et l’évolution des charges est celle que nous connaissons actuellement. - Impacts circonscrits aux trois postes ciblés (€ / 1 000 l de lait ou € / 100 kg de viande vive).
Une évolution à deux chiffres du coût de production
Toutes choses égales par ailleurs, en prolongeant notamment un niveau de valorisation équivalant à celui de 2021, la flambée des cours se traduit par une coupe de l’ordre de 50% du revenu pour les systèmes laitiers, et de 70% pour les exploitations en viande bovine.
Rappelons que les simulations portent sur des exploitations spécialisées. Dans un contexte plus représentatif de Poitou-Charentes, d’exploitations mixtes avec cultures de vente, la chute du revenu peut être atténuée en profitant de la valorisation procurée par les cultures.
Le compte n’y est pas…
Bien sûr, il convient de déduire l’Aide aliment (Plan de résilience – montant variant selon tonnage et poids de l’aliment acheté dans le total des charges).
Parallèlement, l’ensemble des filières animales, appuyées par le ministère de l’agriculture, font évidemment valoir l’impérieuse nécessité de rouvrir au plus vite les négociations commerciales. Négociations qui vont en quelque sorte devoir réaliser la prouesse d’un grand écart entre d’une part la loi Egalim II, la contractualisation et le principe de non-négociabilité des coûts de production, d’autre part l’inflation des produits alimentaires et la baisse du pouvoir d’achat affectant une frange importante de consommateurs français.