Qu’il s’agisse de la presse généraliste ou spécialisée, il pleut des news quotidiennement, relayant notamment le positionnement des ministères de l’agriculture et de l’économie en France, de la Commission et du Conseil de l’Europe.
Cette Note Spéciale « Russie » se veut :
- concise, pour s’approprier des faits marquants en un temps limité. Elle est organisée à partir de 5 Entrées qui fonctionnent de façon relativement autonome,
- d’une « Date limite de consommation » à l’évidence courte. Chaque semaine apportant son lot de positionnements, de corrections de trajectoires et de rebondissements.
À retenir :
Une probabilité forte et son lot d’incertitudes. Nombre d’observateurs avertis parient sur un conflit au long cours… Autant l’impact immédiat sur la flambée des matières premières agricoles est palpable, autant personne n’est en mesure d’apprécier l’ampleur comme la durée d’une telle onde de choc. Une question parmi d’autres circule d’ores et déjà : comment nous chaufferons-nous l’hiver prochain ?
Il faut insister sur le caractère en partie insaisissable d’une telle crise dont les aléas sont multiples, les revirements probables et les conséquences évolutives au gré du temps qui passe. Charles MICHEL, président du Conseil de l’Europe, s’exprimait récemment en ces termes : « On évalue mal les mesures de rétorsion russes face aux sanctions de l’UE. C’est une première, on navigue un peu en terre inconnue. »
Ce préalable essentiel étant posé, la présente Note vise à faire un tour d’horizon forcément partiel & provisoire des déconvenues stratégiques et économiques pour l’agriculture française, et d’entrevoir comment les filières agricoles imaginent pouvoir rebondir.
1. Marchés céréaliers : les cartes sont rebattues
- Russie : 1er exportateur mondial de céréales.
- Ukraine : 12% des exportations mondiales de blé, 50% du tournesol.
- En cumul, l’origine Mer Noire (Russie & Ukraine), c’est de l’ordre de 30% du blé et 15% du maïs sur le marché mondial.
La flambée des cours concerne tous les grains. En tendance ponctuelle en € / tonne au 10 03 2022 : 395 en blé tendre, 355 en maïs, 880 en colza (!) Sans occulter une forte volatilité qui reflète la peur.
Une grande part des approvisionnements européens de maïs provient de l’Ukraine (56%). Quant au blé, sa disponibilité n’est pas liée au marché russe (0,01% des importations françaises). En revanche, sur un marché international globalisé, l’effet prix est sensible.
Le conseil spécialisé des grandes cultures de FranceAgriMer table sur une nette hausse des exportations françaises et une baisse des stocks de fin de campagne pour le blé et le maïs.
Et la récolte 2022 à l’Est ? A l’heure où l’Ukraine se préparait à engager ses semis de maïs et tournesol, planifiés en mars et avril, les incertitudes sont lourdes, et l’objectif initial de pouvoir exporter plus de 50 millions de tonnes de blé et de maïs sera évidemment compromis.
2. Menaces sur les intrants, engrais en tête
- La Russie est un exportateur mondial majeur des engrais P & K.
- Russie & Biélorussie couvrent 42% des exportations mondiales de potasse.
- Les prix de l’urée & du 18–46 ont été pratiquement multipliés par 3 depuis le début de l’année, atteignant respectivement 780 € & 895 € la tonne, voire plus (livraison mars).
- Le Brésil achète 60% des engrais azotés russes. C’est dire la dépendance du pays s’agissant de sa prochaine récolte en maïs, canne à sucre & betterave.
La Russie réalise 13% du commerce de produits intermédiaires d’engrais (ammoniac, roche de phosphate, soufre) et 16% des échanges d’engrais finis.
Parmi les engrais minéraux, seul l’ammonitrate est fabriqué en France et en Europe… à partir d’un gaz désormais hors de prix !
Le leader mondial des engrais minéraux azotés (Yara) vient d’annoncer que 30% de ses ammonitrates seront issus de l’hydrolyse de l’eau -et non de gaz- à compter de 2023. Orientation toutefois assortie d’un coût probablement dissuasif dans un premier temps.
Ponctuellement, la Russie a décidé de suspendre ses expéditions pour l’exportation, arguant de sabotages par des sociétés de logistique étrangères.
En France, l’UNIFA (Union des industries de la fertilisation) affirme que les producteurs d’engrais s’organisent pour assurer la couverture des besoins des agriculteurs dans la durée.
3. Marchés : les causes potentielles de déstabilisation
- L’activité des ports ukrainiens est à l’arrêt, et bouleverse totalement les échanges.
- Côté Russie, les terminaux dans la zone de la Mer Noire demeurent opérationnels mais les propriétaires des navires rechignent à les mobiliser dans un tel contexte.
Pour les importateurs, la question ne concerne pas seulement le prix, mais avant tout la disponibilité des marchandises.
Le blocage des transactions de la banque centrale russe, et l’exclusion de 7 banques russes de la plateforme Swift (système international d’identification bancaire) va handicaper les flux de marchandises.
La filière semencière est également impactée. Des entreprises françaises (Euralis, Maïsadour, Limagrain) ont investi tant en Russie qu’en Ukraine. Elles subissent des répercussions financières (arrêt de fonctionnement), et craignent des défauts de paiement.
L’export, en direction de la Russie, de produits issus des industries agroalimentaires françaises, est évidemment appelé à souffrir au cours des mois à venir.
Accentuant le phénomène engendré lors de la crise sanitaire, nombre d’industriels français redoutent de manquer de composants ou matières premières spécifiques (Michelin est dans l’actualité avec le noir de carbone), d’où notamment des délais allongés de livraisons de matériels pour l’agriculture.
Etant donné la hausse induite du prix des matériels, la durée d’accession des prêts type AGILOR ou ACTIMAT passe de 7 à 9 ans. Allongement qui peut représenter une prise de risque accrue en fin de plan pour certaines exploitations agricoles à la santé financière problématique.
4. Les filières animales plus ou moins lourdement impactées
- La flambée des cours de l’aliment du bétail concerne aussi bien l’énergie (céréales) que l’azote (tourteaux).
- L’impact est sans commune mesure entre d’un côté des systèmes herbagers relativement épargnés (viande bovine & ovine), de l’autre les systèmes granivores (volailles & porcs), particulièrement exposés.
Pour le maïs, selon Agritel, « il n’y aura pas de plan B », car on ne peut pas remplacer 12 à 14 millions de tonnes qui restaient à exporter d’Ukraine. L’Europe doit se tourner vers les USA.
Outre le cours, la disponibilité en tourteaux peut se poser. L’Ukraine assurait à elle seule la moitié des ventes mondiales d’huile de tournesol. Autant de tourteaux qui feront défaut dans un contexte d’effondrement de la production de colza en Amérique du Nord, et de sous-production de soja en Amérique du Sud, sécheresse oblige.
Le groupe Bovin Lait du réseau Cerfrance avance en première hypothèse une augmentation du coût de production de 40 € / 1 000 litres de lait de vache de septembre 2021 à septembre 2022, tablant sur +12% pour les Aliments du bétail, +80% pour la fertilisation et +30% pour l’énergie. A l’évidence, l’inflation des postes de charge sera très dépendante de la date à laquelle les éleveurs se sont couverts (aliments, engrais).
Une vaste question : comment les filières animales pourront-elles transférer vers l’aval des évolutions de coûts de production substantielles dans un contexte inflationniste, de baisse du pouvoir d’achat ?
5. Soutiens et stratégie à moyen terme : parole de ministres
- Une onde plane déjà en termes de pénurie alimentaire mondiale…
- Le conflit, qui impacte lourdement l’export mondial de blé, maïs & tournesol, coïncide hélas avec des épisodes de sécheresse sur le pourtour méditerranéen ainsi qu’en Amérique du Nord comme du Sud.
Selon le ministre de l’agriculture, l’Europe « doit produire plus pour éviter une crise alimentaire mondiale ». Entre autres régions particulièrement exposées, l’Afrique du Nord, en proie à une grande sécheresse, qui aura difficilement accès aux ressources alimentaires requises étant donné la flambée enregistrée sur le prix de certaines denrées.
Si la France ne craint pas de pénurie, le ministre de l’agriculture pointe certaines filières animales en danger, à commencer par les plus exposées (porcs & volailles), renvoyant au Plan de résilience annoncé par le Président de la république dans les allées du Salon de l’agriculture. Plan à construire avec l’implication des filières & interprofessions agricoles, sans qu’aucun fléchage ou enveloppe financière ne soit précisé à ce stade.
Emboîtant le pas de Julien Denormandie, Bruno Le Maire a tenu à tordre le cou à une rumeur. Selon lui, le Quoi qu’il en coûte, adapté en période Covid, n’est absolument pas indiqué pour faire face à la crise actuelle. Ce serait, selon lui, « alimenter l’augmentation des prix et l’inflation ».
Priorité aux soutiens ciblés et massifs (entreprises exportant en Russie, de séchage, de fabrication du verre…)
A l’heure de boucler ces lignes, la Déclaration finale du Sommet européen de Versailles (10 & 11 mars 2022) fait état d’un accord en demi-teinte. L’embargo sur le gaz russe n’est pas retenu à ce stade, faute de consensus, et Les 27 se retrouveront de nouveau en fin de mois.
Outre un premier train de mesures très ponctuelles, Jean-Yves Le Drian, ministre des Affaires étrangères, s’est avancé (13 mars 2022) sur une clause de revoyure des 27 Etats-membres à la mi-mai en vue de poser les bases d’un plan d’action stratégique à moyen terme pour l’Europe. L’énergie y tiendra forcément une place centrale, les sources décarbonées devenant plus que jamais d’actualité.
Photovoltaïque et méthanisation pourraient dès lors représenter une place confortée pour l’agriculture française et européenne.
Plan de résilience : annonce du Premier Ministre (16/03/2022)
Mesures temporaires d’urgence : 7 milliards d’euros pour les secteurs d’activité les plus impactés par la guerre, à commencer par l’agriculture :
- Baisse de la facture énergétique, confirmant la prise en charge de 15 centimes par litre de carburant à tous les secteurs dont l’activité dépend du déplacement professionnel, dont le GNR ;
- Abondement des PGE ;
- Aide aux entreprises dépendantes des matières premières venues de Russie ou d’Ukraine ;
- Report des échéances fiscales ;
- Prolongement d’une année de l’activité partielle de longue durée.
Les éleveurs, tout spécialement impactés, bénéficieront d’un fonds doté de 400 millions d’euros (compensation de pertes, à compter du 15 mars et pour 4 mois).
Les entreprises dont la facture d’électricité est supérieure à 3% de leur chiffre d’affaires, subissant des pertes, bénéficieront d’une prise en charge de la moitié du surplus de leurs dépenses énergétiques.
Suivront des mesures plus pérennes…
Si les pêcheurs se montrent globalement satisfaits, les agriculteurs estiment que le compte n’y est pas, à défaut d’aides directes pour compensation des pertes de revenu.
Sources :
- La France Agricole – 16/03/2022
- France Inter – 17/03/2022